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Le titre de Bouddha signifie «éveillé». Le Bouddha historique le doit à son expérience d’éveil – bodhi – qui l’inscrit dans la succession des bouddhas qui se manifestent à travers les âges pour conduire l’humanité vers sa libération; d’autres viendront lorsque son enseignement sera perdu. Son nom personnel est Siddharta ce qui signifie «but atteint», mais il est aussi connu sous le nom de sa famille Gautama ou encore sous le titre de Shakyamuni, sage du clan des Shakkya. Ses disciples l’ont souvent appelé Bhagavat, «Seigneur ou Bienheureux»; lui-même avait recours à l’expression énigmatique de Tathagata, littéralement, «celui qui est parvenu» (à la vérité).
Sur le plan de l’histoire des religions, on peut développer une intéressante comparaison entre, d’un côté, le rapport que le Jésus historique entretient avec le Christ de la foi chrétienne et, de l’autre côté, le rapport de Siddharta Gautama avec le Bouddha de l’enseignement bouddhiste. En effet, l’un et l’autre n’ont laissé aucun écrit. De plus, dans les deux cas, la grande majorité des témoignages qui nous sont parvenus proviennent des communautés elles-mêmes. Nos informations dépendent donc du témoignage de leurs disciples animés par un double souci: ils cherchent à la fois à exalter la figure de celui qu’ils reconnaissent comme leur Maître et à calquer le récit de sa vie sur un modèle qui le distingue de l’humanité commune. Mais il y a quelques différences de taille: les quatre évangiles incorporés au canon biblique ont été rédigés une ou deux générations après les événements et font preuve d’une grande sobriété dans le registre du merveilleux (d’où une certaine fiabilité historique), tandis que les récits sur Bouddha ont été composés sur des siècles et constituent une littérature secondaire par rapport à la Triple corbeille (ou Tripitaka).
S’il convient de garder à l’esprit la distinction entre histoire et tradition, deux éléments militent contre une opposition terme à terme. Primo, les sources mêlent étroitement données historiques, récits légendaires, élaborations doctrinales et embellissements populaires, au point que toute reconstruction purement historique ne peut reposer que sur des hypothèses qui reflètent pour une part importante l’opinion de leur auteur, fut-il historien. Secondo, si la vie de Siddharta Gautama, à la différence d’autres maîtres spirituels de l’époque, nous est un tant soit peu connue, c’est précisément parce qu’elle a été portée, transmise, reprise, par une communauté qui a reconnu dans son message et son action une voie qui donnait un sens nouveau à l’existence humaine.
L’histoire événementielle n’est pas le point fort de la tradition indienne et l’on discute encore des dates exactes de la vie de Siddharta Gautama, traditionnellement fixée entre ±560 (ou 563) et ±480 avant notre ère. Le cadre géographique est celui des contreforts de l’Himalaya et de la plaine du Gange à la hauteur de Bénarès (aujourd’hui Varanasi). Sa famille appartient à l’aristocratie du village de Kapilavastu, à la frontière indo-népalaise; elle se trouve à la tête d’une petite principauté souvent en guerre avec ses voisins. Siddharta Gautama s’est détourné d’une carrière politique pour mener une quête spirituelle qui le conduit à se distancer progressivement de sa tradition hindoue d’origine.
Au VIe siècle avant notre ère, l’Inde religieuse est dominée par les brahmanes, la première et la plus importante des castes hindoues. Cependant, des voix s’élèvent contre leur prédominance, notamment du côté des maîtres spirituels qui recherchent de nouvelles techniques pour accéder à la libération du poids du karma et du cycle des réincarnations. Siddharta peut être considéré comme l’un d’entre eux, même si comme son contemporain, le Mahavira, fondateur du jaïnisme, il est progressivement conduit à rejeter certains aspects importants de l’héritage hindou, tels que l’importance des dieux, l’existence d’une âme, l’organisation des castes ou encore la pratique d’une ascèse intense (voir encadré ci-après).
Après avoir vécu une expérience spirituelle décisive, l’éveil – bodhi, qui lui fait porter un nouveau regard sur l’existence et le libère du cycle des renaissances, il devient prédicateur itinérant. Au fil des ans, il gagne un nombre grandissant d’adeptes et reçoit le soutien de différents pouvoirs politiques locaux. Par ailleurs, il organise une véritable communauté monastique avec des hommes et des femmes consacrant leur vie à le suivre. Cependant, dans les dernières années de sa vie, les règles établies n’ont pas empêché des dissensions parmi les moines, ceux-là mêmes qui se chargeront de perpétuer l’enseignement du Maître.
La tradition articule la vie du Bouddha autour de cinq événements associés à autant de lieux de pèlerinages bouddhistes:
L’enseignement du Bouddha se caractérise par une grande simplicité dans la mesure où il refuse délibérément de s’engager dans toute discussion métaphysique pour se contenter de poser un véritable diagnostic sur la condition humaine et de proposer le traitement approprié pour s’en sortir et atteindre la libération définitive.
De la tradition hindoue, il reprend les notions de karma et de samsara, mais réduit fortement le statut des dieux qui ne sont dès lors plus que des êtres, certes supérieurs mais soumis au cycle des renaissances. Surtout, il nie l’existence d’une âme en l’être humain et plus généralement l’idée d’une essence éternelle sous-jacente au monde (anatman). Au contraire, il insiste sur l’impermanence de toutes choses et le vide derrière le monde des apparences auquel il est illusoire et aliénant de s’attacher.
Symbolisé par la roue du dharma mise en route lors du premier sermon de Varanasi, l’enseignement du Bouddha porte un regard sans complaisance sur le monde et la condition humaine soumise à toutes sortes de frustrations – duhkha – et propose le moyen d’y échapper, à savoir l’octuple sentier, seul capable de rompre la chaîne qui lie l’être humain à l’existence, la fameuse loi d’interdépendance constituée de douze chaînons dont le premier est l’ignorance.
Dans cette perspective, la voie bouddhique apparaît principalement comme une pratique visant à adopter en toutes circonstances l’attitude juste vis-à-vis des autres et de soi-même. C’est une voie de sagesse et de détachement qui met l’accent sur la méditation et la concentration. A la sagesse, il convient de joindre la compassion pour tous les êtres conformément à l’idéal du bodhisattva qui éclaire le chemin vers la libération – nirvana.
Le Bouddha a consacré une part importante de son temps à former une communauté monastique d’hommes, puis aussi de femmes, ayant abandonné la vie séculière. De tout temps, les moines ont constitué le noyau central de la communauté bouddhiste. Leur vie obéit à un certain nombre de grands préceptes – dont certains sont communs avec les laïques telles que les interdictions du meurtre, du vol, des relations sexuelles hors mariage et du mensonge – et une multitude de règles (250 pour les moines et 350 pour les moniales), selon des modalités qui varient d’une école à l’autre.
Si l’idéal bouddhiste est celui du moine, les laïques n’en ont pas moins toute leur importance, que ce soit pour le soutien de la communauté monastique ou pour la direction de la société. Nombre de laïques font des séjours dans les monastères et la vie religieuse – célébrations, pèlerinages et rites – est organisée autour des monastères. Hormis certaines écoles comme la Terre pure, il n’y a pas de clergé séculier et le rôle du prêtre est assuré par les moines. Au Tibet enfin, c’est toute la vie sociale et politique du pays qui a été prise en charge par les moines.
L’ascèseL’ascèse – du grec askesis – est l’entraînement en vue d’un perfectionnement physique, moral, intellectuel ou spirituel; attestée dans bon nombre de religions, l’ascèse vise à atteindre un but spirituel par la voie du renoncement et des privations (telles que jeûne, continence sexuelle, pauvreté volontaire ou mortifications corporelles). Largement développée dans la tradition hindoue, l’ascèse peut conduire à des excès, dénoncés par le Bouddha, partisan d’une voie du milieu entre plaisir des sens et déni du corps. |